LE MONDE | 06.02.2013 à 14h31 • Par
Nicolas Lepeltier – Mexico
Les
voyages sont aussi affaire de goût. Que la gastronomie d'un pays soit peu ragoûtante suffit souvent à en faire une destination peu recommandée. Qu'elle soit généreuse
et savoureuse, et voilà au contraire le pays élevé au panthéon touristique. A
plus forte raison s'il peut se targuer d'une grande richesse culturelle et historique. Le Mexique est de ces pays-là : un héritage qu'il est inutile de rappeler et une gastronomie inscrite au Patrimoine mondial de
l'Unesco.
Pour s'en convaincre, direction Puebla, un petit joyau de
l'héritage colonial espagnol fondé en 1531, à 120 km au sud-est de Mexico. Dans
le centro historico, peu étendu au regard de l'expansion urbaine
tentaculaire de la quatrième ville du pays (1,5 million d'habitants), pas
un cuadra ("quartier") qui n'ait son église, pas une
rue sans imposante bâtisse couverte de talaveras (un type de
céramique, spécialité artisanale locale) et à l'entrée protégée par une lourde
porte en bois.
Sur le zocalo ("place
centrale") se dressent fièrement les deux tours de la cathédrale qui
passent pour être les plus hautes du pays. Plus au nord, les dorures de la
chapelle Rosario, dans le temple Santo Domingo, figurent
jusqu'à l'excès le style churrigueresque
(baroque) mexicain. Surprenant.
Tout comme
le mole poblano, l'attraction culinaire caractéristique de
Puebla, qu'il est impossible de ne pas goûter. Une sauce épaisse à base de
cacao, dont la recette, composée d'une trentaine d'ingrédients différents
(épices, piments, amandes...) est jalousement gardée. Le morceau de viande qui
l'accompagne, du poulet le plus souvent, ne joue qu'un rôle de figurant. Car
dans l'assiette, la star c'est bien le mole. Et, au palais,
les saveurs explosent. A dire vrai, le
"trésor" de Puebla n'a rien de diététique, mais la fin de repas
s'accommode d'une petite tequila, gage d'une bonne digestion.
OEUFS DE FOURMI
OU SAUTERELLES GRILLÉES
Pour atteindre Oaxaca,
350 km plus au sud, il faut emprunter une route
longue, sinueuse, à travers les sommets pelés et vertigineux de la Sierra Madre
occidentale, l'épine dorsale du centre du Mexique.
Oaxaca, blottie au fond d'une vallée à 1 500 m d'altitude, est réputée pour son
chocolat, dont les effluves chauds parfumés à la cannelle emplissent les rues
où l'"or noir" est fabriqué. Non loin de là, la visite des marchés
couverts "Juarez" et "20 de Noviembre", carrefours de
couleurs, d'odeurs et de sons mêlés, exalte les sens.
Les maraîchers
exhibent leurs étals de fruits et de légumes où trônent des sacs remplis de
piments. Ici, une vieille femme à la peau parcheminée propose à la louche escamoles ("oeufs
de fourmis") et chapulines ("sauterelles")
grillées - dont le goût rappelle la noisette ou la cacahuète, c'est selon. Là,
les odeurs de pain chaud et de viennoiseries flattent les narines. Un peu plus
loin, un homme débite des quartiers de viande à tour de bras, qu'il
s'empressera de faire griller quand, à côté, les
employés des comedores ("auberges populaires") vous rappellent,
tels des bonimenteurs, que le petit déjeuner est servi chez eux jusqu'à 13
heures. Une plongée étourdissante dans le ventre d'Oaxaca.
Les nombreux
restaurants chics, bars branchés et galeries d'art donnent à la ville - autre
bijou de l'architecture coloniale
espagnole avec ses rues aux façades multicolores et ses balcons en fer forgé -
un petit air bohème qui invite à l'oisiveté. En 2006, pourtant, Oaxaca fut
secouée par une intense contestation sociale qui a paralysé l'économie locale
pendant de longs mois. Dans les rues désormais pacifiées de la ville, quelques
banderoles évoquant les grèves de la faim témoignent encore de cet épisode pas
si lointain. Aujourd'hui, à l'ombre des grands arbres de la plaza Alameda de
Leon, la vie a repris son cours. Assis à la terrasse des bars, les touristes
observent le ballet des vendeurs ambulants (cigarettes, piles, mouchoirs...),
les cireurs de chaussures s'affairent à trouver des
clients et les amoureux transis, seuls au monde, s'embrassent intensément au
milieu des passants.
LE MEZCAL,
TERRIBLEMENT FORT MAIS DIABLEMENT BON
Mais Oaxaca est
aussi connue pour être la capitale du mezcal, un alcool tiré d'un
cactus, le maguey. Le breuvage, souvent légèrement ambré, tient une place de
choix dans nombre de vitrines. Ne restait plus qu'à en goûter l'ivresse,
qu'appréciait tant le romancier anglais Malcolm Lowry (1909-1957), l'auteur
de Au-dessous du volcan. Le bar La Casa del Mezcal est
l'endroit tout désigné. Accoudés au zinc, quelques amateurs semblent avoir abusé du jus d'agave. Une
pincée de sel de gusano (le ver qui se niche dans le maguey)
disposée dans le creux de la main et un quartier de citron vert complètent le
rituel de la dégustation. Le mezcal glisse alors le long de la gorge telle une
coulée de lave en fusion. Terriblement fort mais diablement bon.
Au sud du
Mexique, près de la frontière avec le Guatemala, la brume
peine, ce matin-là, à se dissiper sur San
Cristobal de las Casas. Perdue à plus de 2 000 mètres d'altitude au milieu de
massifs couverts de forêts de pins que l'on croirait sortis de paysages alpins,
la capitale de l'Etat du Chiapas, fondée en 1528 par le conquistador Diego de
Mazariegos, se trouve pourtant en terre indienne. C'est ici qu'est né, au milieu
des années 1990, le soulèvement zapatiste de défense des
droits des indigènes, réprimé plus tard dans le sang. Le sous-commandant
Marcos, porte-parole du mouvement, est devenu une icône locale, au point qu'aujourd'hui
il n'est pas une boutique de souvenirs de la ville qui ne propose la cagoule
qui a contribué à forger le mythe.
Le Chiapas,
l'Etat le plus pauvre du Mexique et pourtant l'un des mieux pourvus en ressources
naturelles, offre un condensé de la diversité ethnique du
pays. Dans les rues étroites et pavées de San Cristobal se croisent Indiens Tzotziles,
Mayas ou encore Toltèques qui se rendent au marché de la ville, immense dédale
dans lequel il fait bon se perdre.
Sous les
arcades du zocalo, les terrasses se remplissent peu à peu. Le
soleil s'est maintenant levé et les effluves de café torréfié flottent dans
l'air. Le moment idéal pour déguster le précieux nectar, que l'on s'arrache à
travers tout le Mexique. Un café à l'image des hommes qui le produisent, des
petits paysans regroupés au sein de coopératives : robuste et généreux à la
fois.